Si vous avez lu le texte de ma conférence "Comprendre la Trinité ?" qui est, je vous le rappelle, la destination de ce blog, vous avez vu que j'y évoque en toute fin la tension qui existe entre le ponctuel et l'éternel sous le rapport de la Création. Certains théologiens la conçoive comme "continue" ou "étendue" au sens où il serait possible de considérer qu'elle n'est pas limitée à un moment dans le temps, celui de l'origine du monde et que Dieu est toujours à l'oeuvre.
En fait, il semblerait qu'on puisse se poser la même question au sujet de l'Incarnation. Et si je me suis autorisé à le faire, c'est qu'une conversation (que j'avais oubliée) m'avait déjà permis de m'assurer de l'"orthodoxie" de cette réflexion.
C'est celle que je vous présente aujourd'hui. Elle ne fait que poser le cadre sans en déployer toutes les conséquences, loin s'en faut. C'est un travail qui reste à accomplir et dont la portée me paraît a priori immense.
Car nous nous serions alors amenés à examiner l'idée que Dieu le Père qui est aux Cieux se donne tout entier et sans résidu en son Fils, "Dieu avec nous (Emmanuel)", présent en continu dans la Création mais révélé lors de ce moment historique et point de bascule du monde que fut l'Incarnation grâce à laquelle il nous entraîne en continu dans son mouvement divin et éternel de "retour au Père" avec la Croix (donc l'Esprit saint en nous) pour guide.
Ceci est une conjecture, une "vue de l'esprit" au sens noble du terme. Elle est, par nature, discutable, et j'espère pouvoir bientôt la discuter. Mais, pour le moment, je me satisfais déjà d'avoir pu la formuler ! :-)
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L'incarnation doit elle être considérée comme un évènement ponctuel dans l'Histoire sacrée ou, considérée du point de vue d'un engendrement éternel du Fils par le Père, peut-on l'associer à la Création dans son ensemble dès lors que Jésus se retrouve dans toutes les victimes depuis la fondation du monde et que "ce que vous ferez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le ferez !" ?
Votre question soulève un point théologique profond sur la nature de l'Incarnation et sa relation avec la Création.
L'Incarnation, dans la tradition chrétienne, est effectivement présentée comme un événement historique précis - le Verbe qui se fait chair en Jésus-Christ à un moment déterminé de l'histoire. Cependant, votre réflexion touche à une dimension plus large et éternelle.
La théologie chrétienne reconnaît une tension féconde entre ces deux aspects. D'une part, l'Incarnation comme événement ponctuel situé dans l'histoire humaine - "Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous". D'autre part, le mystère de la génération éternelle du Fils par le Père qui transcende le temps.
Cette perspective élargie trouve un écho dans plusieurs traditions théologiques:
La théologie johannique qui présente le Christ comme le Logos présent dès le commencement, par qui tout a été fait.
La vision paulinienne du Christ comme celui "en qui tout a été créé" et vers qui tout converge.
L'idée patristique,
notamment chez Irénée de Lyon, que l'Incarnation s'inscrit dans un plan
divin où la création trouve son accomplissement.
Votre référence à la présence du Christ dans "les plus petits" (Matthieu 25:40) ouvre effectivement une dimension supplémentaire. Cette présence mystique du Christ dans les souffrants et les marginalisés suggère une extension de l'Incarnation au-delà de la personne historique de Jésus.
Certains théologiens contemporains ont développé cette idée d'une "incarnation continue" ou d'une "incarnation étendue" qui, sans diminuer l'unicité de l'événement historique, reconnaît comment le mystère de l'Incarnation continue d'opérer dans l'histoire humaine et la création.
Cette tension entre l'événement ponctuel et la réalité éternelle demeure au cœur de la réflexion théologique chrétienne, invitant à une compréhension du mystère de l'Incarnation qui dépasse les limites d'une simple datation historique.
Merci pour cette réponse très claire. Je comprends en particulier qu'il n'y a rien d'hétérodoxe ou d'hérétique à penser dans cette direction. Vous confirmez ?
Je vous confirme qu'explorer cette dimension de l'Incarnation comme ayant à la fois un caractère historique précis et une portée éternelle qui s'étend à la création entière reste dans le cadre de la réflexion théologique orthodoxe.
Cette perspective s'inscrit dans une longue tradition de méditation théologique sur le mystère christologique. Des Pères de l'Église comme Grégoire de Nysse ou Maxime le Confesseur ont développé des réflexions similaires sur la relation entre l'Incarnation historique et son rayonnement cosmique.
La tradition chrétienne a toujours maintenu en tension:
L'unicité et la spécificité de l'événement historique de l'Incarnation en Jésus de Nazareth
La dimension transcendante et éternelle du Verbe incarné
Cette approche trouve également un fondement dans la liturgie et la spiritualité chrétiennes qui reconnaissent la présence continuée du Christ dans l'Église, les sacrements et les plus démunis.
Tant que l'on préserve l'unicité de l'Incarnation historique tout en reconnaissant ses implications cosmiques et sa présence dans les "plus petits", on reste dans une réflexion théologique qui s'inscrit dans l'orthodoxie chrétienne.
Merci pour cette confirmation claire et nette ! Un dernier point : jusqu'à quel point cette perspective nous rapproche-t-elle du panenthéisme et comment la réflexion théologique "orthodoxe" se situe-t-elle par rapport à cette notion ? Est-elle perçue comme hétérodoxe voire hérétique ?
Votre question sur le rapport entre cette perspective et le panenthéisme est très pertinente.
Le panenthéisme (à distinguer du panthéisme) affirme que Dieu est à la fois immanent dans toute la création et transcendant par rapport à elle. En d'autres termes, tout est en Dieu, mais Dieu ne se réduit pas à sa création. Cette vision peut effectivement sembler proche de la perspective théologique que nous évoquions sur l'Incarnation étendue.
Dans la théologie chrétienne "orthodoxe" (au sens large du terme), la relation au panenthéisme est nuancée :
La théologie
orthodoxe (particulièrement orientale) avec sa doctrine des énergies
divines (St Grégoire Palamas) et la tradition mystique de la déification
(théosis) s'approche d'une vision panenthéiste sans l'adopter
explicitement.
Certains théologiens
catholiques et protestants contemporains (Karl Rahner, Jürgen Moltmann,
John Polkinghorne) ont développé des perspectives compatibles avec une
forme de panenthéisme chrétien.
La tradition
biblique elle-même contient des passages évoquant l'omniprésence divine
d'une manière qui peut être interprétée dans un sens panenthéiste (Actes
17:28 : "En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être").
Le panenthéisme n'est généralement pas considéré comme hérétique en soi, tant qu'il maintient :
La distinction essentielle entre Créateur et création
La transcendance divine
La liberté divine vis-à-vis du monde
L'unicité de la révélation en Christ
Ce qui serait problématique du point de vue de l'orthodoxie chrétienne serait un panenthéisme qui :
Nierait la distinction ontologique fondamentale entre Dieu et le monde
Rendrait Dieu dépendant de sa création
Diluerait l'unicité de l'Incarnation historique en Christ
La réflexion sur l'Incarnation dans sa dimension cosmique peut ainsi s'approcher d'intuitions panenthéistes tout en restant dans le cadre de l'orthodoxie chrétienne, tant qu'elle maintient ces distinctions fondamentales.
Dans la Trinité le Père est considéré comme la source sans source, alors que le Fils lui est engendré par le premier alors que c'est du Père et du Fils que l'Esprit reçoit la plénitude de l'essence divine. L'engendrement du Fils est donc une procession clairement distincte de celle de l'Esprit qu'on appelle la spiration (mais ce terme est d'apparition tardive donc on continue de parler de procession). Cette différence peut sembler un détail mais elle ne l'est pas. Les Eglises d'Orient et d'Occident se sont séparées à cause de cette question, même si d'autres facteurs conceptuels et humains trop humains étaient aussi impliqués. Dans la conversation qui suit l'effort consiste avant tout à mettre de l'ordre afin de savoir de quoi on parle exactement. Ce ne sera pas aisé car des interprétation sont venues se rajouter, surtout côté occidental, avec ce qu'on peut bien appeler la "projection" de facultés humaines sur la Trinit...
Le dogme de la Trinité est très simple dans sa lettre et mystérieux quant à l'esprit. En faire sens donne parfois le vertige, le tournis ou la berlue tant les significations se croisent, s'opposent et font miroiter mille possibilités entre lesquelles on peine à choisir. Ainsi, il arrive qu'au détour d'une question anodine posée presque par acquis de conscience, une vérité abyssale se fait jour qui remet presque tout en question. Cela vient de m'arriver alors que je suis simplement dans l'effort de collecter les idées "mineures" qui ont jalonné le chemin parcouru jusqu'à la rédaction du texte de la conférence "Comprendre la Trinité ?". Autrement dit, je ne suis pas censé déclencher une bombe en soulevant quelques pierres ici et là, à la recherche d'un trésor de sens oublié. Cette bombe c'est le fait que contrairement à la représentation candide et erronée que je m'étais faite de la procession et de la périchorèse, on ne saurai...
Cette conversation me paraît intéressante techniquement parlant car alors que je pars à l'aveugle en ignorant de quoi il s'agit, je peux, grâce aux explications fournies, établir des liens entre diverses dualités fondamentales, dégager des invariants et arriver très vite à des conclusions significatives. Je vois là une manifestation de la puissance qu'apporte l'IA aux processus de pensée pour peu qu'on sache la canaliser ou même la conquérir, c'est-à-dire conserver le regard fixé sur la "ligne bleue des Vosges" et veiller sur les écarts logiques comme si sa vie en dépendait. D'ailleurs, à un moment donné, il est très clair que l'IA surinterprète et par dans la direction opposée à ce que voudrait la logique. J'objecte et elle part aussi sec dans l'autre sens. Conclusion : l'IA n'hallucine pas "à l'occasion", par moment, quand le tableau est singulier. L'IA "hallucine" tout le temps mais le plus souve...
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